mercredi 29 juin 2022

Magazine Garo (Dossier)


Si vous avez l’occasion de passer par Paris en juillet, ne manquez pas l’exposition « Garo 1964-1974, une histoire dans l’Histoire » qui se tient jusqu’au 30 juillet à la Maison de la culture du Japon.

Garo est au manga ce que Métal Hurlant est à la BD! Avec 15 ans d’avance…

Avant 1960, les mangas s’adressent principalement aux enfants. Il n’y a pas de place pour le Gekika, nouveau « style » de manga aux préoccupations plus adultes.

C’est ainsi qu’en 1964, Katsuichi Nagai lance le magazine « Garo ». Son premier objectif étant d’offrir à « Kamui Den », le nouveau Gekika de Sanpei Shirato une diffusion dans tout le pays. Mais au-delà de ça, Nagai désire donner une visibilité à toute une série d’œuvres pas suffisamment conventionnelles (soit dans la forme, soit dans le fond, voire les deux) pour les éditeurs traditionnels qui les refusent.

Garo devient ainsi le support de l’avant-garde japonaise, mais aussi un espace de contestation…

Il faut dire que cette nouvelle génération d’auteurs nés dans l’après-guerre est plus éduquée et consciente des conflits sociaux. Bien avant Mai 68 chez nous, dès 1960, de violentes manifestations anti-américaines enflamment l’archipel (sans succès cependant puisque le traité de sécurité nippo-américain sera malgré tout renouvelé). Le Japon est entré dans une nouvelle ère technologique (avec notamment la mise en service du 1er train à grande vitesse au monde, le Shinkansen, à l’occasion des JO de 1964). Si cette modernité, un peu « sience-fi », fascine l’Occident, elle laisse sur le carreau nombre de Japonais incapables de s’adapter aux changements rapides de la société.

C’est à cette époque que Yoshiharu Tsuge crée « la bande dessinée du moi », à savoir un style de récit autofictionnel et ce, environ 35 ans avant que le genre n’explose dans la BD franco-belge (un peu plus franco que belge d’ailleurs).

En 1971, « Kamui Den » arrive à sa fin. Le Japon est désormais pourvoyeur de modernité pour le reste du monde. Il exporte en masse de nouveaux biens d’équipement (Toshiba, Sony, Canon, etc.). Le japonais lambda voyage, dépense et se préoccupe peu des luttes sociales. Par ailleurs, la révolte étudiante de 1968 a été réprimée très violement ce qui a eu pour effet de radicaliser une partie de ses troupes, mais aussi de fragmenter le mouvement en multiples factions jusqu’à le faire disparaître. Dans la nostalgie de son passé impérial (l’Empereur actuel a un rôle uniquement symbolique) la société nippone devient conservatrice, nationaliste et le tenant d’une économie ultra-libérale.

Les auteurs de Garo savent désormais que la révolution dont ils avait rêvé n’aura pas lieu. Leurs récits deviennent plus sombres. Celui qui créa le terme « Gekika », Yoshihiro Tatsumi « préfère aux séquences dynamiques les images sombres, cruelles et urbaines » [description de l’album « Cette ville te tuera » dans le catalogue de Cornelius.]. Ses personnages désabusés et résignés attendent …la fin.

Après 1974, dernière année couverte par l’expo à Paris, les ventes de Garo commencent à chuter. Les anciens commencent à partir et une nouvelle concurrence émerge. Dans les années 80, Le manga devient à son tour un objet de consommation de masse et d’exportation. Les grands éditeurs élargissent leurs catalogues. Garo se noie petit à petit dans la masse. Différentes formules pour le faire survivre seront tentées jusqu’en 1996, année durant laquelle Nagai décède. Encore quelques numéros plus tard, le mensuel, devenu bimensuel puis saisonnier paraît pour la dernière fois en 2002.

On notera tout de même que même dans ses années de déclin, le magazine aura encore permis de découvrir quelques auteurs alternatifs marquants tels que MaruoFuruya ou encore Kiriko Nananan.

Nos chroniques :

La raison d’être de Garo

Sanpei Shirato : Kamui Den (épuisé)

Les anciens

Yoshiharu Tsuge : L'homme sans talent

Shigeru Mizuki : Hitler (épuisé) et Les voyages de Kitaro

Les années sombres

Yoshihiru Tatsumi : Rien ne fera venir le jour, L’Enfer (épuisé) et Cette ville te tuera

Kazuichi Hanawa : Dans la prison

Yarô Abe : La cantine de minuit

La deuxième génération

Suehiro Maruo : L’Enfer en bouteille (épuisé)

Usamaru Furuya : Notre Hikari Club

Pour aller plus loin :

Présentation audio de la mythique revue GARO (et du "gekiga") par l'historien Erwin Dejasse sur radio.Grandpapier.

Pour aller visiter l’expo:

Garo 1964-1974, une histoire dans l’Histoire à la Maison de la culture du Japon à Paris, du 14 juin au 30 juillet 2022.


 
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