Violence, injustice, fanatisme, solitude… ces comics arrachent le masque de l’Amérique et exposent ses fissures. Entre satire, témoignage et polar social, ils ne prennent pas de gants, mais prennent le lecteur à bras-le-corps.
Preacher de Garth Ennis et
Steve Dillon, Urban
Amer d’avoir un fils
surnommé « Tête-de-Fion » à cause de l’aspect de son visage mutilé par un coup
de feu, le shérif Root incarne la violence et le racisme qui couvent au Texas,
l’état-bastion de l’ultra-puritanisme américain. Découvrant les corps carbonisés
des 200 habitants d’Annville à l’intérieur de l’église incendiée, il songe
forcément à l’évidence ; c’est encore un complot du FBI. Il n’en est rien. La
paroisse a été la victime collatérale de la possession soudaine du révérend
local par une puissante entité céleste. Personnage central de la série Preacher
et réceptacle d’un esprit qui lui confère un pouvoir redoutable, le révérend
démissionnaire Jesse Custer partira sans attendre à la recherche du Grand
Architecte pour lui demander des comptes sur l’état de sa Création. Accompagné
de son ex-petite amie et d’un Irlandais qui boit pour oublier le goût du sang,
le « prêcheur » drainera dans son sillage tout ce que le Ciel et le Nouveau
Monde peuvent contenir de personnages pathétiques, névrosés ou sadiques, du
shérif Root au « Saint des Tueurs ». De 1995 à 2000, au travers des
pérégrinations de leur antihéros qui seront compilées en 6 volumes, le
scénariste irlandais Garth Ennis (The Boys) et le dessinateur anglais Steve
Dillon proposèrent l’un des pamphlets les plus virulents sur les dérives de la
société américaine. Blasphèmes, répliques cultes, humour noir et violence sont
au menu de ce classique du label Vertigo qui passe au vitriol une Amérique
profonde comme le renfoncement du visage de « Tête-de-Fion ».
Fondu au noir d’ Ed Brubaker, Sean
Phillips et Elizabeth Breitweiser, Delcourt
Los Angeles, 1948. La
chasse aux sorcières de McCarthy bat son plein dans les milieux du cinéma et le
feu des projecteurs attire les papillons comme une flamme. Charlie Parrish,
scénariste estimé, joue depuis trop longtemps un double jeu, avec lui-même comme
avec les autres. Le meurtre de son actrice fétiche, maquillé en suicide par le
studio qui l’emploie, va l’amener à enquêter en terrain miné. Sexe, alcool et
pouvoir, « Fondu au noir » convoque tous les ingrédients du roman
noir californien à la Ellroy, avec comme toile de fond, l’industrie toute
puissante d’Hollywood, passée maître dans l’art de la mise en scène. A l’écran
comme à la ville, tous les moyens sont bons pour sauver les apparences. A la
magie du cinéma succède le cauchemar des coulisses. «Dans cette ville, on n’est
pas là pour rêver, mais pour se faire du fric!» rappelle Brodsky, le chef de la
sécurité des studios Victory Street. Un constat cynique et cinglant d’actualité
pour un récit qui colle à son sujet avec une épatante maîtrise graphique et
narrative. A ingurgiter d’un trait, c’est fort et ça brûle!
Kent State de Derf Backderf, Çà
et Là
Le 4 mai 1970 sur le campus universitaire de Kent State dans l’Ohio, la Garde nationale tire à balles réelles en direction de manifestants contre la guerre du Vietnam. Derf Backderf a alors 10 ans et habite à quelques kilomètres de là. Il a vu les mêmes soldats, 4 jours plus tôt, dans les rues de sa petite ville, venus contenir une grève de routiers. De la colère estudiantine à la paranoïa gouvernementale en passant par l’épuisement nerveux des forces de l’ordre, Backderf raconte en détail la chronologie des faits qui relient les deux événements, pour tenter de comprendre comment a pu se dérouler un tel drame. Un récit glaçant qui dénonce la fatalité de la tragédie et accable le climat volontairement clivant entretenu par l’administration Nixon au sein de la société américaine de l’époque. Un contexte qui résonne par ailleurs singulièrement avec l’actualité récente. Fruit de plus de 20 ans d’interviews et de recherches documentaires, « Kent State » est, selon les propres dires de l’auteur lors de son dernier passage chez nous, son œuvre la plus ambitieuse et aboutie à ce jour. Au vu de sa bibliographie, cela donne une idée de l’intérêt de l’ouvrage : un livre indispensable !