jeudi 5 octobre 2006

Entretien avec Herval

Couverture de Tiffany #1 - © 2006 Herval/Yann/Delcourt
Herval, le dessinateur du premier tome de Tiffany paru chez Delcourt, nous fait le plaisir de répondre à quelques questions sur la genèse de cette série (avec la participation de Yann, son scénariste). Au travers de ce court entretien, vous pourrez découvrir un peu du mystère qui entoure le personnage central de cet album. Tiffany est en effet la descendante du frère de Jeanne D'Arc. La Pucelle d'Orléans lui a légué son étrange pouvoir; celui d'entendre des voix ou plutôt de lire dans les pensées...

Nicolas (à Herval) - Quel a été votre parcours avant d'arriver dans le monde de la Bande Dessinée?

Herval - Je me suis assez mal orienté dans mes études. Je voulais faire du dessin, et à la place, je suis allé en fac étudier les Lettres Modernes ! J'ai corrigé le tir en commençant à travailler. Je me suis retrouvé dans une agence de communication, à cumuler différents postes: maquettiste, roughman, directeur artistique. Ca m'a appris pas mal de choses, mais pour le dessin, j'ai dû me débrouiller. Je peux dire que je suis essentiellement autodidacte.Aujourd'hui, je travaille toujours dans la pub, pour des raisons essentiellement alimentaires! Mais ma véritable passion a toujours été la BD. J'essayais d'en faire quand je pouvais, le soir en rentrant, et les week-ends. C'est comme ça que j'ai fait mon premier album, Captain Pirate, paru chez Nucléa. Mais à ce rythme là, ça m'a pris un temps fou! J'ai mis au moins 2 ans à le faire! Et ça ne m'a pas rapporté grand chose, à part beaucoup de fatigue, et la joie de faire plaisir aux rares enfants qui l'ont lu. J'ai accusé le coup un certain temps, et puis j'ai persévéré. Mon style a évolué, aussi. Maintenant, je me suis mieux organisé pour continuer à développer une activité BD en parallèle. Je travaille à mi-temps: mi-Com, mi-BD. Mais toujours plus pour la BD. Et j'aimerais bien continuer.


N. (à Herval) - Dans un entretien pour Bodoï, Yann signale que vous l'avez "inondé de dessins". Vous désiriez travailler spécifiquement avec ce scénariste?


Herval - Oui, pour moi, Yann est une sorte de monstre sacré de la BD! Un des scénaristes les plus incontournables de sa génération. J'étais fan des Innommables, de Bob Marone, de Celestin Speculoos... Mais je suis quasi-débutant dans le domaine de la BD et je pensais que je n'avais guère le niveau pour avoir une chance de travailler avec lui. Et puis, sur le conseil d'un copain, je me suis risqué à lui envoyer un dossier avec quelques dessins, et à ma grande surprise, ça l'a suffisamment intéressé pour qu'il me passe un coup de fil! A partir de là, je ne l'ai plus lâché! On a tourné autour de quelques projets. Je lui envoyais régulièrement des croquis, des recherches. Ca nous a permis de mieux faire connaissance.


N. (à Yann)- Qu’est-ce qui vous a interpellé dans le dessin d’Herval ?

Yann - Le même aspect que développe Balac en parlant du dessin de Joël Parnotte dans votre entretien précédent. Le dessin d’Herval est expressif. Il me permet d’éviter les répétitions. Les attitudes et les visages de ses personnages font passer énormément de choses. C’est ce que je recherche chez un dessinateur.

N. (à Yann) - Les personnages féminins prennent de plus en plus de place dans vos récits par rapport à vos débuts (avec Tiffany, Dottie, Yoni et Alix dans Tigresse Blanche). Pourquoi les femmes prennent-elles le pas ?

Yann - La vraie vérité vraie, c’est que je suis marié depuis une dizaine d’années et que j’ai encore quelques attirances. Elles s’expriment au travers du monde virtuel de la BD. C’est une manière un peu détournée de fréquenter tout un tas de jolies filles, de me glisser dans leur peau et de les animer sans rendre jalouse mon épouse.


N. (à Herval) - Comment est né ce personnage de Tiffany? A-t-il été difficile de lui donner son apparence définitive?
Herval - Je crois que le synopsis de Tiffany dormait dans un tiroir, jusqu'à ce que Yann songe à me le proposer. J'ai été immédiatement séduit par cette héroïne fraîche et élégante. Audrey Hepburn est une référence indéniable pour ce personnage. Je m'en suis fortement inspiré pour lui donner son apparence, qui n'est peut-être pas tout à fait définitive, d'ailleurs. J'ai encore des hésitations sur sa coupe de cheveux... Disons qu'elle adore en changer! Et puis il faut que je travaille davantage sur sa garde-robe. En ce moment, je potasse activement la rubrique mode des magazines féminins!

N. (à Yann) - J’ai lu dans un entretien vous envisagiez Tiffany comme votre premier "shojo" (manga pour jeunes femmes). Avez-vous travaillé en envisageant un lectorat qui serait plus particulièrement féminin?

Yann - Quand je discute avec d’autres scénaristes, ils me disent tous la même chose ; ils travaillent pour eux-mêmes. En gros ils sont leur propre spectateur. Dans un film de Mankiewicz, on voit un chef d’orchestre qui dirige des musiciens qui sont tous ses doubles. Les gens se lèvent dans la salle, émus aux larmes. Ce public aussi n’est formé que par ses doubles. C’est la métaphore totale de lui-même applaudi par lui-même. C’est le comble de l’Ego. On n’a jamais fait mieux pour évoquer le narcissisme de la création. J’écris donc pour moi avant tout. J’ai simplement voulu jouer avec les codes d’un genre comme le shôjo.


N. (à Herval) - Avez-vous aussi abordé cet album avec une approche plus « féminine » ?

Herval - Tiffany est avant tout une série grand public, mais il est vrai qu'on espère que les lectrices y seront sensibles ! Yann a vraiment développé dans cette histoire des personnages et des thèmes très féminins. Et puis, avec Tiffany, on peut dire qu'on va à l'encontre des héroïnes "musclées" type Lara Croft, ou des femmes-flic avec le revolver à portée de main. Ici, point d'artillerie lourde! A l'image de l'escrime, on évolue dans un univers plus raffiné. Et Tiffany fait surtout travailler ses méninges. D'ailleurs, elle a un don: elle peut lire dans les pensées des autres. Le problème, c'est que ça ne marche plus quand elle tombe amoureuse... Mais en toutes circonstances, elle reste très féminine, élégante, racée.C'est cette image que j'ai voulu véhiculer avec mes dessins.

N. (à Herval) - A-t-il été difficile de garder une mise en page aérée alors que vous deviez intégrer des "bulles de pensées" en plus des dialogues?

Herval - Non, il n'y a pas eu de problème particulier, car à aucun moment -il me semble- les "bulles de pensées" ne sont venues s'ajouter aux "bulles de dialogues" dans une même case. Sinon c'est vrai, cela aurait donné une impression de cacophonie et de cases surchargées! C'est principalement au moment où ils ne parlent pas, que Tiffany "entend" les pensées des gens. Ca met l'accent sur ces moments particuliers où Tiffany utilise son don. Il y en a d'ailleurs relativement peu au cours de notre histoire.


N. - Etiez-vous familier avec l'univers de l'escrime ou a-t-il fallu entièrement vous documenter pour la série?

Herval - Effectivement, il a fallu que je me penche sur le sujet, car je ne connaissais rien à l'escrime ! Yann m'a bien aidé en me fournissant pas mal de doc. Et puis sur internet, les sites de clubs avec des galeries photos sont une vraie mine ! Malgré cela, j'ai encore tellement de choses à apprendre... J'espère que ça ne se voit pas trop sur les dessins, et que les escrimeurs seront indulgents! Je me suis rendu compte, en outre, que l'escrime est assez difficile à "mettre en cases". La distance moyenne entre deux escrimeurs qui s'affrontent implique souvent de montrer leurs actions dans des plans larges, des cases horizontales. Pour avoir des cadrages plus serrés, il faut les montrer de trois-quart, user de plongées et de contre -plongées...
C'est parfois un peu "casse-tête", mais j'aime bien étudier différents angles, et trouver des solutions!

N. (à Herval) - Yann travaille généralement en découpant les planches à l'avance. Ce système vous a-t-il facilité la tâche?

Herval - Disons que le découpage fait normalement partie de son travail, mais avant de commencer à travailler ensemble, la première chose qu'il m'a demandée, c'est si je préférais qu'il me fournisse un découpage écrit ou un découpage dessiné. Le dessiner, même très succinctement, lui évite de longues descriptions. Et ses dessins sont extrêmement expressifs. Moi, j'aime bien le découvrir comme ça. C'est une base pour visualiser la page. Après, on en discute. L'important pour moi, et pour lui, c'est de ne pas rester "bloqué" sur ses choix, d'arriver à me forger mes propres images et lui proposer d'autres alternatives éventuellement.


N. - Comment votre choix s'est-il porté sur les éditions Delcourt pour cette série?

Herval - Yann m'a parlé de Tiffany alors qu'il en avait déjà discuté avec Thierry Joor, directeur editorial chez Delcourt. C'était un projet en attente de dessinateur. Moi, j'ai eu le coup de foudre pour cette histoire, ça n'a donc pas traîné : je suis allé me présenter auprès de Thierry, j'ai fait 2, 3 pages d'essais qui l'ont convaincu, et l'affaire s'est conclue assez rapidement. C'était parti pour Tiffany!

N. - A qui nous souhaitons une belle carrière de détective! Je conclurai ce court entretien par quelques remerciements. A Herval tout d'abord pour sa gentillesse et sa disponibilité. Un grand merci aussi à Yann pour sa participation!


Entretien réalisé en septembre/octobre 2006
© 2006 Yann/Herval/Verstappen
Tous les crayonnés de cet entretien sont © 2006 Herval/Delcourt
 
Free counter and web stats