jeudi 6 juillet 2006

Entretien avec André BENN

Rencontre avec André Benn, un auteur aussi affable qu’exigeant

André Benn



Le personnage de Mic Mac Adam a bientôt 30 ans. Pourtant, à l’inverse de nombreux héros « classiques », il est loin d’être tombé dans le piège tentant des recettes toutes faites. André Benn a su préserver son enquêteur de l’Etrange des affres de la facilité grâce à une intégrité artistique des plus louables et un grand sens de l’exigence. Il a appris des meilleurs -Peyo entre autres- mais il ne s’est jamais reposé sur ses acquis. En s’associant avec le jeune scénariste Luc Brunschwig (« L’Esprit de Warren », « La Mémoire dans les Poches », « Makabi »), il a su renouveler la surprenante modernité qui naquit du tandem qu’il forma jadis avec Stephen Desberg. Avec ce quatrième tome des «Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam » (paru chez Dargaud), il nous prouve une nouvelle fois que l’on peut tout à la fois rester un « classique » au sens noble du terme et surprendre ses lecteurs en jouant sur le détournement de leurs attentes. Comme il nous l’explique dans l’entretien qui suit, André Benn est bien loin d’être devenu un auteur académique.

Les Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam tome 4 (© Dargaud/André Benn)

Nicolas - Mic Mac Adam est apparu pour la première fois en 1978 dans le Journal de Spirou. Comment est né ce personnage ?

André Benn – Je voulais faire une série fantastique, une histoire de fantôme. Ca m’a évoqué l’Ecosse, tout simplement. J’avais donc l’idée de ce personnage d’Ecossais en tête et même son graphisme. J’ai alors proposé à Desberg de travailler dessus. Comme Alain De Kuyssche venait d’entrer chez Spirou comme rédacteur en chef et qu’il appréciait notre travail, Desberg m’a poussé à lui présenter le projet. De Kuyssche cherchait des séries intéressantes et il a compris l’originalité de la nôtre. Nous proposions un nouveau créneau. En littérature, le Fantastique pur était courant mais pas en bande dessinée. Il n’existait presque rien et nous sommes parmi les premiers à avoir réadapté, à notre manière, tout ce qui faisait la force du Fantastique de l’époque. Après nous avons peaufiné et nous avons trouvé notre propre originalité. Mais au début, nous sommes parti sur un melting-pot. Ca fait partie du charme de la série d’ailleurs.

N – Vous avez démarré avec des aventures au ton clairement humoristique.

André Benn – Nous ne savions pas où nous allions. Nous venions d’arriver dans le journal de Spirou où travaillaient des auteurs comme Cauvin. C’était un journal tourné vers les récits à gags alors nous avons démarré dans la même veine. D’un autre côté, nous étions dans le Fantastique et très vite nous avons compris que nous allions prendre une autre direction. Je voulais que le personnage s’exprime par rapport à des choses que je ressentais. Si tout a évolué vers le noir, c’est toujours un peu à cause de moi. Je crois qu’au départ Desberg a cru qu’on resterait dans quelque chose d’humoristique. Puis j’ai commencé à faire du semi-réaliste et Desberg a suivi. Mais il était capable de suivre tout ce que je voulais. J’étais libre de traduire entièrement l’émotion du personnage, sa manière d’être.

Les Premières Aventures de Mic Mac Adam volume 1 (© Dargaud/André Benn)

N – Dès sa première apparition, le personnage de Mic Mac Adam est plongé dans l’obscurité (sauf son « gros nez »). La noirceur est inscrite dès son origine.

André Benn – C’est exact. J’avais de nombreux croquis qui étaient déjà fait avant de penser à Desberg ou au journal de Spirou. Lorsque la série a été acceptée, je suis parti en repérages à Londres avec Desberg et Alain De Kuyssche qui était très enthousiaste. Nous sommes donc allés dans les endroits les plus sordides de Londres, dans les bas-fonds. C’est là que j’ai découvert ce fog, ce côté noir. De ce fait, même sur les histoires du début, je produisais déjà inconsciemment ce que la série deviendrait par la suite. J’allais vers un Fantastique d’épouvante, plus gore, plus noir. Mais cet attrait est aussi plus ancien. J’ai été voir très tôt des films fantastiques comme « La Vierge de Nuremberg ». J’ai commencé à en voir dès l’âge de 14 ans. Inconsciemment, ça m’a apporté de nombreuses choses qui sont ressorties plus tard. Avec la littérature aussi comme Dickens ou Hugo.

N – Avec Le « Tyran de Midnight Cross » (1980-81), vous basculez dans un univers particulièrement sombre.

André Benn – Oui mais il reste des relents d’humour comme dans la séquence de l’asile. Le personnage de Mic Mac Adam gardera toujours son côté « gros nez » et caricatural comme dans les « Nouvelles Aventures ». Là il n’y a plus rien de drôle mais en même temps on reste toujours avec un personnage qui donne l’illusion au lecteur qu’il va entrer dans un récit humoristique alors que tout est au premier degré. C’est ce qui fait la saveur et le succès de la série. Dans notre cas, ça a vraiment fonctionné. C’est la magie de Mic Mac Adam. Et rien n’était prémédité.

Extrait des Premières Aventures de Mic Mac Adam (© Dargaud/André Benn)

N – Vous avez écrit quelques histoires courtes de Mic Mac Adam. Pourquoi ne pas l’avoir repris en étant seul aux commandes?

André Benn – J’ai toujours travaillé avec quelqu’un sur Mic Mac Adam sauf rares exceptions. Quand j’ai fait ma coupure, j’ai soit adapté soit écrit mes histoires moi-même. Pendant 15 ans j’ai travaillé seul. C’était un peu pesant. J’ai donc un peu travaillé avec Delaby et ça m’a fait du bien. Alors au moment de reprendre Mic Mac Adam, ça a été l’occasion de retravailler avec quelqu’un. Mais j’ai envie d’écrire un Mic Mac Adam seul, sur un synopsis de Desberg que j’ai encore. Mais ce n’est pas parce que je peux écrire mes histoires moi-même que je dois forcément le faire. Après je fais un one-shot avec une femme au scénario. C’est un challenge, la possibilité d’avoir un regard et une sensibilité différente. Ici, féminins. Pour évoluer tu ne peux pas te cantonner uniquement à toi-même et surtout dans un métier comme la bd où tu es déjà souvent solitaire. Voilà les raisons pour lesquelles j’en ai profité de retravailler avec quelqu’un sur Mic Mac Adam.

Couverture du Spirou n°2555 - Mic Mac Adam - Les Cinq Miroirs (© Dupuis/André Benn)


N – Pourquoi avoir choisi Luc Brunschwig pour reprendre le scénario ?

André Benn – C’était une bonne idée de ma part de le proposer à Brunschwig. Mais je ne travaille pas par rapport à ce que Brunschwig a fait par exemple. Je n’avais pas lu ce qu’il avait fait mais un entretien de lui. C’est plutôt ce que la personne a au fond d’elle, ce qu’elle a envie de raconter. Sa personnalité. Brunschwig était très noir. Je lui ai proposé et il m’a donné sa réponse définitive deux jours après. Ca s’est fait très rapidement entre nous deux. Je l’ai invité chez nous et on a commencé à travailler. Là où j’ai fait un bon choix, c’est que je ne voulais pas refaire Mic Mac Adam comme avant. Ce serait ridicule, vingt ans après. Il me fallait respecter ce qui avait été fait mais apporter quelque chose de neuf, un nouveau ton. C’était un challenge difficile. La fin du tome cinq nous a demandé pas mal de tracas mais j’en suis vraiment très content. Si je refais un Mic Mac Adam sur un synopsis de Desberg, j’espère qu’avec cet album je serai entre les deux. Ce ne sera plus Brunschwig, pas vraiment Desberg et qu’il aura une approche « André Benn » où l’on découvrira le Mic Mac Adam tel qu’il est réellement. J’aimerais bien en terminer là, ce ne serait plus les « Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam » mais les « Dernières Aventures de Mic Mac Adam ». Il peut encore se passer des choses mais en tout cas, c’est au programme.

N – Comment s’est déroulé votre travail avec Luc Brunschwig ? Vous lui avez donné des pistes ?
André Benn – Non pas du tout. On a fait du fantastique mais Luc est allé dans un autre fantastique. Après un repérage avec Desberg, j’avais ramené des livres sur la Première Guerre mondiale. Ils sont restés plus de vingt ans dans l’armoire. Et Luc m’a dit : « J’ai des tas de trucs à dire et j’aimerais intégré le personnage dans la Guerre 14-18 ». Pas de problèmes ! J’avais la documentation. Les choses étaient dites d’avance. Ca a été assez ardu quand même. La toile de fond était assez difficile. Et puis il fallait innover en respectant la série originale. J’ai fait près de 3000 croquis de Mic Mac Adam car je voulais qu’il ressemble et qu’il ne ressemble pas dans le même temps. Pour une reprise, ce n’est pas si évident. Ce n’est pas une facilité. Au contraire. Il aurait été plus facile de faire autre chose.

N – Avec ces « Nouvelles Aventures », c’est une nouvelle tranche de la vie du personnage que nous découvrons. C’est une des grandes originalités de la série que de découvrir la vie d’un personnage dans un désordre chronologique.

André Benn – Oui. Ici, il fait plus jeune. Certaines aventures se passent en 1920-21, d’autres en 1914. J’ai été dans diverses périodes de sa vie. Rien ne m’empêchait de faire un épisode en 1935. Ca m’intéresse de me dire qu’il lui est arrivé quelque chose en 1912 et que ça le marque quand je le dessine en 1914. Il y a des moments où il est beaucoup plus dur comme quand ça se passe mal dans les « Cinq Miroirs ». Dans les « Nouvelles Aventures », Mic Mac Adam n’agit pas beaucoup. Il est dépassé par la guerre. Dans ma tête, j’ai toujours vu Mic Mac Adam comme quelqu’un qui utilise sa tête, c’est un écrivain. Mais il a quand même ce côté « punch ». Il n’a pas froid aux yeux. Il ose y aller. Mais avec 14-18, il est dépassé. Luc et moi tenions à cet aspect. Il résiste de son mieux mais il est limité. Il est ballotté au gré des événements.

Croquis pour les Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam (©Dargaud/André Benn)


N – Le découpage des « Nouvelles Aventures » rend bien le chaos de la guerre. Comment avez-vous abordé ces mises en page moins conventionnelles ?

André Benn – Au départ, on ne pensait pas faire ce récit en cinq volumes mais en deux. Je me rappelle ce que Luc m’a dit quand on a eu les premières pages définitives: « Je me demande comment tu vas tout faire tenir en deux tomes ». C’est une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à déborder des cases. Il me fallait un maximum de place. Certaines personnes n’apprécieront peut-être pas. Dans un lectorat plus jeune, certains s’étonnent qu’on puisse trouver cette approche dans un « Mic Mac Adam ». Je n’innove pas. Il y avait déjà des débordements de cases dans « Buddy Longway » et bien d’autres. Mais dans le décentrage radical de certaines pages, je vais très loin. Il y a un côté ardu. On perd pied, mais c’est ça aussi 14-18. C’est un cauchemar. On entre dans une folie. Ce n’est peut-être pas évident mais ça fait partie du récit. Je veux traduire tout ça. Ce n’est peut-être pas la bonne approche mais c’est la mienne. On me jugera quand l’œuvre sera finie.
On me dit souvent que je suis un « classique ». Je suis un classique mais pas un académique. C’est avec le classique qu’on peut avancer, aller plus loin. Je croque des personnes dans les bistrots pour les attitudes de mes personnages. Ca aussi, c’est très loin d’être de l’académisme.

(Entretien réalisé par Nicolas Verstappen en avril 2006 – copyright Nicolas Verstappen/André Benn)

- André Benn sur le net: le site dédié
- « Les Nouvelles Aventures de Mic Mac Adam » par André Benn et Luc Brunschwig, 4 tomes parus, Dargaud.
- « Les Premières Aventures de Mic Mac Adam » par André Benn et Stephen Desberg, 2 intégrales parues, Dargaud.

 
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