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La réédition de l’incontournable Batman - Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean (ce 13 juin), du Justice League: L'Autre Terre de Grant Morrison et Frank Quitely (ce 20 juin) et la parution le mois passé des deux derniers tomes (#00 et #08) de la collection Grant Morrison présente Batman chez Urban Comics nous offrent l’occasion d’évoquer les 25 ans de carrière d’un scénariste écossais qui n’a cessé de repousser les limites du médium bande dessinée et de réinventer les multiples univers des superhéros.
La réédition de l’incontournable Batman - Arkham Asylum de Grant Morrison et Dave McKean (ce 13 juin), du Justice League: L'Autre Terre de Grant Morrison et Frank Quitely (ce 20 juin) et la parution le mois passé des deux derniers tomes (#00 et #08) de la collection Grant Morrison présente Batman chez Urban Comics nous offrent l’occasion d’évoquer les 25 ans de carrière d’un scénariste écossais qui n’a cessé de repousser les limites du médium bande dessinée et de réinventer les multiples univers des superhéros.
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Grant
Morrison, originaire de Glasgow, est né en 1960 et fait partie de la «Génération X», génération qui suit celle des baby-boomers de l’après-guerre.
Comme Alan Moore (de 7 ans son aîné), il grandira donc durant l’ère Thatcher et
développera rapidement une critique acerbe à l’encontre du Parti Conservateur
de la Dame de Fer. Dès 1987, dans les pages de la prestigieuse revue anglaise 2000AD
où travaillèrent également Alan Moore, Neil Gaiman et Brian Bolland, Grant
Morrison va lancer une saga de super-héros qui fustige le Thatchérisme en
proposant une analyse des différences générationnelles et en jouant avec des
éléments de culture populaire et de contre-culture. Mais cette série baptisée Zenith
est aussi une réaction aux deux grands récits de «superhéros tourmentés» qui
viennent de paraître aux Etats-Unis. En 1986, l’américain Frank Miller a en
effet publié son Batman - Dark Knight Returns et les anglais Alan
Moore et Dave Gibbons ont proposé leur Watchmen. A la suite des Daredevil
de Miller et des Swamp Thing d’Alan Moore, ces deux ouvrages vont
cristalliser une approche du récit de superhéros qui sera imitée (avec plus ou
moins de succès) durant près de 20 ans. Cette déconstruction, souvent cynique,
de la psyché des personnages, de leur mythe, des valeurs morales et politiques
qu’ils incarnent, va mener à un assombrissement des héros qui se feront amers,
vieillissants, «à bout de souffle». Pour Frank Miller, la tristesse de son
Dark Knight «n’est pas déprimante ; elle se rapproche plus d’un tourment
wagnérien menaçant». C’est dire… Grant Morrison, alors âgé de 26 ans,
apprécie le Dark Knight Returns et les Watchmen
mais il les trouve cependant «pompeux» et «trop marqués en tant
qu’albums-concepts». Lorsqu’à la suite d’Alan Moore il sera découvert par
les éditeurs américains, Grant Morrison poursuivra cette critique aux
Etats-Unis dans son propre récit de Batman. En 1989, avec la complicité du
dessinateur anglais Dave McKean, il propose le roman graphique Arkham Asylum : A Serious House on Serious Earth, dans lequel Batman
parcourant l’Asile d’Arkham sera confronté à tous ses démons intérieurs mais,
de manière générale, à l’ensemble de sa psyché. Pour Grant Morrison, les thèmes
de cet album «sont inspirés de Lewis Carroll, de la physique quantique, de
Carl Jung et d’Aleister Crowley. Son style visuel est inspiré du Surréalisme,
de Jean Cocteau, d’Antonin Artaud, de Jan Svankmajer, des frères Quay…
L’objectif était de concevoir quelque chose qui tiendrait du morceau musical ou
du film expérimental plus que de l’aventure-type de bande dessinée. Je voulais
envisager Batman du point de vue de l’hémisphère cérébral irrationnel,
émotionnel et onirique dans une réponse au traitement très littéral, très
réaliste tenant de l’hémisphère gauche et qui était vogue à l’époque dans les
récits de superhéros comme le Dark Knight Returns, les Watchmen
et d’autres…». Je rappellerai ici, et même si cela est encore discuté
scientifiquement, que certains considèrent l’hémisphère gauche comme le centre
de la logique, du langage et du raisonnement et l’hémisphère droit comme le
lieu de la création, de l’émotion et de l’intuition.
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Tout au
long de sa carrière, Grant Morrison semblera privilégier cette approche de
«l’hémisphère droit» en ne cessant de se
livrer à des expérimentations narratives au cœur-même de récits de super-héros.
En 1988, un peu avant son Arkham Azylum mais déjà pour l’éditeur
américain DC Comics, l’auteur s’était fait remarquer sur sa reprise de la série
Animal Man mettant en scène un superhéros (désuet à l’époque) qui
a la capacité d’emprunter aux animaux leurs capacités physiques particulières…
Lors d’un épisode de cette série assez délirante où le scénariste milite contre
la vivisection et l’abattage des animaux, le personnage d’Animal Man se
retrouvera dans la maison de son auteur, Grant Morrison, et discutera avec ce
dernier de son statut de «créature». Au-delà de cette mise-en-abyme
surprenante, Grant Morrison exploitera également des techniques expérimentales
dans sa reprise de la série Doom Patrol mettant en scène une
équipe de super-héros névrosés (certains ont des personnalités multiples ou
perdent la raison suite à la disparition complète de leurs sens), à qui l’on
fait appel pour affronter des situations
ou des ennemis tellement insensés
ou horribles qu’ils semblent être les seuls à pouvoir y faire face… Pour
exemple, ils se battront contre la «Confrérie du Dada», un groupe anarchiste
qui lutte contre la Réalité et la Raison. Cette référence au mouvement
d’avant-garde dadaïste prônant un jeu avec les conventions et les convenances
et une recherche d’une libération du langage n’est pas innocente. Grant Morrison utilisera durant cette série
des techniques d’écriture automatique mais aussi de «cut-up», découpant un
texte au hasard puis le réarrangeant pour produire un texte nouveau. Pour un
récit publié en Angleterre, il construira même un scénario en mélangeant
méditation, méthodologie scientifique et occultisme (en utilisant par exemple
une planchette «ouija»).
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A côté de ces approches expérimentales passionnantes
et souvent très réussies, Grant Morrison brille également par sa capacité à
saisir ce qui fait l’essence d’une série ou d’un personnage lorsqu’il est
chargé de les reprendre et de les revitaliser. Arnold Drake, co-créateur de Doom
Patrol, dira par exemple que Grant Morrison fut le seul scénariste à
avoir repris cette série en ayant compris l’esprit qui l’animait à ses débuts.
Après six ans passés sur The Invisibles, sa série-phare qui
explore comme Zenith politique, culture populaire et
contre-culture, le scénariste écossais se verra ainsi confier la revitalisation
de la série X-Men chez Marvel Comics sous le titre NewX-Men. En 2000, avant de s’attaquer à ces personnages avec son
compatriote écossais Frank Quitely au dessin, Morrison publiera un véritable
manifeste dans lequel il analyse ce que représentent les X-Men et ce qui est à
l’origine de leur succès. Il veut saisir leur «ADN» et décide de s’inspirer
de Chris Claremont qui scénarisa les Uncanny X-Men durant 17 ans
et les rendit très populaires en partie grâce à son travail sur l’humanité des
personnages, leurs aspirations, leurs désirs et leurs relations
sentimentales. Avec cette approche
inspirée et plus lumineuse, Morrison réussit son pari et redonne aux X-Men leur
gloire passée en les replaçant en tête des ventes américaines. Cet énorme succès
commercial lui offre de nouvelles opportunités et le surnom de « rewrite guy »
(« le gars qui réécrit ou repense les univers »). A nouveau avec Quitely, il
revisite Superman, le super-héros le plus convoité dans la
profession, avec une approche similaire. Comme le racontait le responsable
éditorial d’Urban Comics, Morrison aperçoit un jour lors d’un festival un homme
un peu bedonnant, déguisé en Superman et allongé dans l’herbe au soleil. Cette
vision lui donne l’idée d’envisager Superman comme un personnage tellement
puissant et invulnérable qu’il n’aurait rien à craindre et serait donc
totalement détendu. Son Superman (dans All-Star Superman), d’une décontraction inhabituelle, un peu
bonhomme, est en rupture totale avec la vision en cours depuis le milieu des
années 80. A nouveau, Morrison opte pour un héros lumineux, comme aux premières
heures de sa création en 1938. Face aux héros «à bout de souffle» du Dark Knight Returns et des Watchmen, il propose un nouveau
souffle, épique, divertissant, mais sans jamais négliger ses réflexions sur le
médium ni sur l’importance des super-héros en tant que vecteurs d’idéologies
politiques. Pour sa reprise de Batman, dont il a tenu les rênes de 2006 à 2013,
le scénariste écossais optera pour une vision bien différente de celle qu’il
avait proposée pour son Arkham Azylum. Il refusera le Batman
solitaire et torturé mais exhumera des dizaines de personnages totalement
oubliés depuis des décennies pour former une équipe de superhéros profondément
décalés autour du Chevalier Noir. Dépoussiérant tout l’univers de Batman,
réutilisant des concepts que l’on croyait éculés, revenant au contraste fort
entre l’obscurité et les couleurs « flashy » et « pop art » de Robin et du
Joker, Grant Morrison fait renaître le «Grotesque» et avec lui un
macabre génial, dérangeant et ravageur. Cette immense fresque, véritable
reconstruction salutaire d’un univers après la déconstruction du Dark Knight Returns et des Watchmen, est désormais complète
dans une édition française sous le titre Grant Morrison présente Batman
chez Urban Comics, éditeur qui a l’idée brillante de publier la saga de manière
chronologique et dans une collection particulière, allant ainsi au-delà de
l’édition américaine originale très difficile à suivre dans de multiples albums
isolés.
Voilà qui conclut le dossier consacré à Grant
Morrison, scénariste brillant et engagé qui parvient à la fois à faire un
travail de pionnier dans le domaine de l’expérimentation en bande dessinée et à
nourrir et enrichir des univers a priori plus «mainstream» du fruit de ses
multiples expériences narratives. Je ne saurais donc que vous conseiller de
découvrir le travail de cet auteur bien moins connu que celui d’Alan Moore mais
pourtant tout aussi important. (Nicolas Verstappen)
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A découvrir également de Grant Morrison et Frank Quitely; l'incontournable WE3 qui fut notre "Comics de l'Année 2012"!
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(Ce dossier fut d'abord présenté dans la rubrique Hell and Back de l'émission Radio GrandPapier)
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A découvrir également de Grant Morrison et Frank Quitely; l'incontournable WE3 qui fut notre "Comics de l'Année 2012"!
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(Ce dossier fut d'abord présenté dans la rubrique Hell and Back de l'émission Radio GrandPapier)