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Ce deuxième « dossier
comics » sera consacré au scénariste britannique Neil Gaiman et à sa série
Sandman,
une passionnante saga publiée en anglais sous le label Vertigo de DC Comics et actuellement
réédité en français chez Urban Comics.
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Au début des
années ‘8O, la maison d’édition américaine DC Comics entrevoit la possibilité
de travailler avec de jeunes scénaristes et dessinateurs britanniques, à la
fois fins lettrés et politiquement engagés. Elle débauche donc ces talents en
leur proposant de dépoussiérer d’anciens héros de son catalogue. Le britannique
Alan Moore reprendra ainsi le personnage du Swamp Thing à partir de
février 1984. En octobre de la même année, Moore fait sauter les
réglementations du Comics Code chez DC Comics en évoquant nudité, zombies, inceste et nécrophilie dans le 29ième numéro de la Saga du Swamp Thing intitulé Love and Death. Et c’est
ce numéro bien précis que Neil Gaiman achètera en attendant son train sur le
quai de la gare Victoria. Agé alors de 24 ans, ce jeune journaliste musical et critique
de littérature fantastique ne s’intéresse que lointainement à la Bande Dessinée.
Il vit alors une véritable révélation. Il déclarera quelques années plus
tard : « Je me souviens encore très clairement de l’état de choc dans lequel me
plongea la lecture de Love and Death. Ce fut le
premier comics d’horreur qui parvint à m’horrifier ; je fus dès lors pris
au piège, découvrant avec fascination que la Bande Dessinée possédait la même
capacité que la prose ou le cinéma à nous perturber ou nous ébranler. »
Il se lie d’amitié avec Alan Moore qui lui confiera, en 1986, les rênes de
la série anglaise Miracleman dont il était alors le scénariste. Après de
premières armes sur ce titre et dans la revue 2000 AD, Neil Gaiman noue
une relation étroite avec le talentueux dessinateur Dave McKean, relation qui donnera lieu à une longue et fructueuse
collaboration. En 1987, le duo réalise un premier album intitulé Violent
Cases, très rapidement remarqué par les éditeurs américains à la
recherche d’auteurs capables de réitérer les exploits d’Alan Moore sur le Swamp
Thing. Neil Gaiman et Dave McKean proposeront donc à DC Comics de repenser
l’héroïne de Black Orchid pour une mini-série. Leur récit, qui s’achève en
évitant le poncif d’un ultime affrontement physique, déstabilise les amateurs
du genre.
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La jeune responsable éditoriale Karen Berger, qui lancera quelques années plus tard la collection Vertigo, trouve l’écriture de Neil Gaiman un peu austère mais également prometteuse. Sur base d’une ancienne proposition de Neil Gaiman, elle l’autorise à reprendre un autre personnage du catalogue de DC Comics en lui offrant une liberté quasi-totale sur sa réinterprétation. De fait, Neil Gaiman, chargé de reprendre le personnage du Sandman, n’en conservera finalement que le nom. La première version du Sandman date de 1939 et présentait un justicier mystérieux, issu de la vague des héros de magazines pulps, qui étourdissait les criminels avec son pistolet à gaz. Dans une version ultérieure de Joe Simon et Jack Kirby, le Sandman vivait dans le Domaine des Rêves, protégeant la population humaine de monstrueux cauchemars. Neil Gaiman imaginera quant à lui un personnage profondément atypique pour l’époque. Plutôt chétif, vêtu de noir, pâle comme un linge, renfrogné et orgueilleux, son Sandman est bien loin des figures canoniques du catalogue DC. Avec ses 6 frères et sœurs que sont le Destin, la Mort, la Destruction, le Désir, le Désespoir et le Délire, ce Maître des Rêves forme le clan des Éternels, incarnations anthropomorphiques de concepts plus immuables que les dieux eux-mêmes.
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La jeune responsable éditoriale Karen Berger, qui lancera quelques années plus tard la collection Vertigo, trouve l’écriture de Neil Gaiman un peu austère mais également prometteuse. Sur base d’une ancienne proposition de Neil Gaiman, elle l’autorise à reprendre un autre personnage du catalogue de DC Comics en lui offrant une liberté quasi-totale sur sa réinterprétation. De fait, Neil Gaiman, chargé de reprendre le personnage du Sandman, n’en conservera finalement que le nom. La première version du Sandman date de 1939 et présentait un justicier mystérieux, issu de la vague des héros de magazines pulps, qui étourdissait les criminels avec son pistolet à gaz. Dans une version ultérieure de Joe Simon et Jack Kirby, le Sandman vivait dans le Domaine des Rêves, protégeant la population humaine de monstrueux cauchemars. Neil Gaiman imaginera quant à lui un personnage profondément atypique pour l’époque. Plutôt chétif, vêtu de noir, pâle comme un linge, renfrogné et orgueilleux, son Sandman est bien loin des figures canoniques du catalogue DC. Avec ses 6 frères et sœurs que sont le Destin, la Mort, la Destruction, le Désir, le Désespoir et le Délire, ce Maître des Rêves forme le clan des Éternels, incarnations anthropomorphiques de concepts plus immuables que les dieux eux-mêmes.
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Sur plus de
1800 pages parues dans 75 épisodes mensuels entre 1989 et 1996, Neil Gaiman
nous plongera dans une véritable épopée, régulièrement fractionnée en contes (dont le magnifique Un rêve de mille chats) puisant dans diverses mythologies ou œuvres littéraires, pour nous dévoiler le
destin de ce Morphée et de son domaine. Il nous révèle ses tourments intérieurs
et les confits qui l’opposent à sa famille dysfonctionnelle, à sa compagne
déchue et à des puissances adverses. Lorsqu'on demanda à Neil Gaiman de résumer
sa série en moins de 25 mots, il proposa: "Le Seigneur des Rêves apprend que
l'on doit changer ou mourir; il fait son choix". Et c'est ce choix
difficile que l'on découvrira tout au long de ce récit qui est à la fois une fresque
psychologique subtile, une grande saga fantastique et une œuvre littéraire
riche et inspirée. L’écrivain américain Norman Mailer déclarera d’ailleurs que « le Sandman est une bande dessinée pour les intellectuels ».
La critique est dithyrambique, plaçant cette saga parmi les plus grandes œuvres
de l’époque, aux côtés de V pour Vendetta, des Watchmen
et du Dark Knight Returns. En 6 ans, le Sandman récolte plus de
prix qu’aucune autre série dans l’histoire des comics mais il parvient surtout à conquérir en masse un nouveau lectorat jusque-là
réticent à la Bande Dessinée « mainstream » américaine ; celui
des lectrices ! Ce fait est très probablement dû à l’apparition du
personnage de Death, la sœur du Sandman, dans le huitième épisode de
la série. Bien qu’elle incarne la Mort, elle est surtout l’accompagnatrice des
âmes dans l’au-delà, rôle qu’elle tient avec beaucoup d’empathie, de tendresse et
d’humanité. Sa vivacité et son
impertinence font d’elle une jeune femme moderne à laquelle d’exigeantes
lectrices pourront enfin s’identifier. Elle permet également à Neil Gaiman
de briser le ton austère que lui reprochait Karen Berger sur la mini-série Black
Orchid. Un autre élément important qui séduisit vraisemblablement les
lectrices réside dans le travail novateur de Dave McKean sur les couvertures. Chacune d’elles présentaient un
portrait audacieux d’un personnage de la série au travers de somptueux montages
d’illustrations et photographies. Dave McKean chamboulait ainsi les codes en
vigueur à l’époque car il avait choisi de ne pas représenter de manière
systématique le « héros » de la série sur ses couvertures. Porté par les dessins de Sam Kieth, Mike Dringenberg, Chris Bachalo, Steve Parkhouse, Jill Thompson, Mark Hempel, Mickael Zulli ou Charles Vess, le
Sandman forme l’une des sagas fantastiques les plus importantes
de la Bande Dessinée contemporaine. (Nicolas Verstappen)
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(Ce dossier fut d'abord présenté dans la rubrique Hell and Back de l'émission Radio GrandPapier)